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Un Cathéter qui se fait un peu désirer… :

   Pour bien comprendre cette partie du récit, il faut d’abord savoir que les traitements chimiothérapiques sont administrés par voie intraveineuse dans les services d’oncologie / Radiothérapie des hôpitaux. Il est évident, compte tenu de leur nature, que ces traitements ne peuvent pas être administrés par n’importe qui et encore moins n’importe où. Les produits injectés sont des mélanges chimiques destinés à réduire, voire supprimer totalement les tumeurs cancéreuses.

 

    Les traitements sont bien évidemment différents pour chaque type de tumeur, et la durée et/ou les fréquences de ces séances également.

   Les progrès réalisés, ces dix dernières années, en matière de protocoles chimiothérapiques, sont immenses et l’on peut dire aujourd’hui que ces traitements sont quasiment élaborés au « cas par cas », presque individu par individu.

 

   Il y a encore quelques années, la Chimiothérapie était administrée via une aiguille plantée dans la veine du creux du bras (comme pour les simples perfusions). On choisissait la veine la plus apparente et l’on y plantait l’aiguille.

   A la longue, cette façon de procéder devenait très inconfortable et douloureuse, car la fréquence de ces « piqures » détériorait les veines. Par ailleurs, et entre autres effets indésirables, les produits injectés fragilisent les veines qui deviennent assez rapidement « cassantes ». On aura très vite compris que chaque jour qui passe devient un peu plus critique, et la pose de la dite aiguille « délicate » voire très inconfortable  pour le malade.

 

   Il existe donc aujourd’hui un procédé un peu moins barbare qui consiste à implanter, sous simple anesthésie locale, généralement sous la peau, au dessus du sein droit ou gauche une petite capsule de la taille d’une pièce d’un Euro. Cette « capsule », ou « cathéter » est recouverte d’une membrane spéciale destinée à recevoir l’aiguille par laquelle le produit est administré. Elle est reliée au système circulatoire (via la veine sous clavaire par exemple) par un petit tuyau très fin et très souple. Les cathéters sont composés de matériaux biocompatibles (Silicones, polyuréthanes) bien supportés par l’organisme.

   En plus de leurs qualités « mécaniques » , comme la souplesse et la résistance, ils doivent résister aux médicaments, parfois caustiques, qui sont injectés, mais aussi au temps car destinés à être gardés par les malades relativement longtemps (parfois plusieurs années).

   Le cathéter en place, il n’ est plus nécessaire de piquer la veine à chaque fois, puisqu’il  est lui même relié au système circulatoire..

    Pour mon cas personnel, et comme les séances de chimiothérapie duraient une semaine entière, l’infirmière plaçait l’aiguille dans ce cathéter le lundi et je gardais la même toute la semaine sans que cela me gêne le moins du monde.

 

   La pose de ce matériel est donc réalisée sous anesthésie locale. L’intervention en elle-même ne dure pas plus de 20 minutes dans le pire des cas. C’est donc seul et relativement décontracté (tout est relatif quand même…) que je me suis présenté à l’HEGP ce matin là aux environs de huit heures. Il était prévu que je puisse rentrer chez moi en fin de matinée, au pire après déjeuner…

 

   Après avoir souscrit aux inévitables, mais utiles et nécessaires formalités d’admission, facilités grâce à ma « carte de malade » je me suis donc présenté au service de l’hôpital de jour, où j’étais attendu. On me désigna ma chambre et l’on m’informa que je devais être pris en charge par le « plateau technique » dans une petite heure.

 

   Prise de tension, température, analyse de sang, tout était parfait. J’étais douché,  j’avais revêtu l’infâme et inconfortable  blouse bleue, seul vêtement admis en salle d’opération. J’étais prêt. Il était neuf heures dix minutes lorsque les brancardiers sont venus me chercher.

 

    Le plateau technique d’un centre hospitalier comme l’HEGP est une véritable ruche. Il y a là 24 salles d’opérations, 1 IRM, 2 scanners, 12 salles d’imageries, 8 salles d’endoscopies digestive et pulmonaire, etc. La salle où l’on m’emmena était déjà pleine de patients qui attendaient leur tour….. J’allais devoir patienter un peu, et je regrettais déjà de ne pas avoir pris le dernier Harry Potter que mon fils m’avait offert la veille !

 

   Quelques minutes après être arrivé, une infirmière vint me voir et m’expliqua ce que l’on allait me faire. Elle me montra même un cathéter, encore dans son emballage stérile. Elle annota mon dossier qu’elle glissa dans un étui en plastique au pied de mon lit, avant de repartir, d’un pas pressé, répondre au téléphone.

 

   Une heure passa, puis une autre…. J’avais somnolé un peu, mais maintenant je commençais à trouver le temps long.

   D’après ce que j’avais cru comprendre il y avait eu un grave accident qui avait monopolisé la presque totalité des ressources du Plateau Technique, et les interventions prévues  ce matin là avaient pris du retard…. Il fallait donc attendre. Qu’aurais-je pu faire d’autre ?.

 

   Il était maintenant presque 13h00. Ma patience commençait à s’émousser, et pour couronner le tout, j’avais un besoin pressant à faire.

   Comme je n’étais vêtu que de la fameuse blouse bleue transparente, je ne pouvais décemment pas me lever et déambuler, presque nu, au milieu des lits tous occupés d’hommes et de femmes par ailleurs certainement dans le même cas que le mien.

   Quelques uns commençaient aussi à interroger du regard les infirmières qui passaient à proximité. L’une d’elles  m’assura, en même temps qu’elle  m’apportait un pantalon de la même matière que la blouse pour m’habiller un peu plus décemment, que cela allait être très bientôt mon tour.

 

   Encore un peu de patience et je pourrai regagner ma chambre.

 

   J’étais arrivé à l’hôpital à 08h00, la pose de mon cathéter était prévue à 09h30, et ce n’est qu’à 16h30, soit après sept heures d’attente que l’on me fit enfin entrer dans la salle d’opération !! Ce jour là pour la première fois depuis que j’étais malade, j’ai bien cru que j’allais tout laisser tomber et rentrer chez moi. Vu l’état d’extrême énervement dans lequel j’étais, j’aurais été capable de partir et de prendre un taxi sans même prendre la peine de me rhabiller.

   Le chirurgien qui allait me poser mon cathéter s’excusa fort poliment de ce contre temps et m’expliqua pourquoi nous avions du subir une telle attente. C’était un homme jeune, souriant et qui ne cessa de me parler tout au long de l’intervention qui ne dura finalement que 15 minutes.

 

   Ma femme, que j’avais heureusement pu joindre grâce à la gentillesse d’une interne qui m’avait prêté son portable, m’attendait dans ma chambre, très inquiète malgré tout, et il y avait de quoi : Elle avait attendu 6 heures alors que cela ne devait durer que 50 minutes tout au plus….

 

    Je venais de découvrir un des visages de l’APHP (Assistance Publique des Hôpitaux de Paris) et de la désorganisation qui peut en résulter si d’aventure un imprévu vient se glisser dans des rouages pourtant bien huilés : Sept heures d’attente dans des conditions très inconfortables, pour quinze minutes d’intervention ! un véritable calvaire, mais j’avais enfin mon précieux cathéter.

 


   On me donna les contacts de plusieurs infirmières qui prodiguaient des soins à domicile, afin de faire surveiller la cicatrisation. Les fils devaient être enlevés sous huit jours. On m’assura que la cicatrice se verrait à peine, mais c’était bien le moindre de mes soucis à ce moment là.

 

 

   Nous étions mi-Novembre,  à six semaines de Noël 2005, le ciel était d’un gris sale, il faisait de plus en plus froid. Il  s’était mis à neiger et les pelouses du parc voisin étaient déjà recouvertes d’un très léger manteau blanc. Les passants, emmitouflés dans des gros manteaux, accéléraient le pas pour rentrer chez eux et se mettre bien au chaud.

   J’avais hâte moi aussi de retrouver mon petit chez moi et oublier aussi vite que possible cette journée pour me concentrer sur la suite.

 

   Ma première séance de chimiothérapie devait avoir lieu dans presque trois semaines et je comptais bien mettre ce délai à profit pour me reposer et me préparer à affronter le début de mon traitement.

 

   La cicatrisation consécutive à la pose de mon cathéter était maintenant en voie d’achèvement, et l’on m’avait enlevé les fils depuis quelques jours. Le temps sur Paris était toujours aussi maussade et gris, et nous avions même eu droit en ce triste mois de novembre 2005  à plusieurs chutes de neige, vite transformée en boue sale et glissante. Avec un peu de chance nous aurions peut être un Noël blanc…. Ca changerait un peu de cette grisaille perpétuelle qui ne m’aidait pas beaucoup à garder le moral….

 

   Xavier et Cécile avaient, de longue date, prévu de partir à la Martinique passer les fêtes de Noël. Compte tenu de ce m’arrivait, et malgré mon insistance pour qu’ils fassent ce voyage, ils avaient changé leurs projets et retardé leur départ au mois de janvier, simplement pour pouvoir, dans ces circonstances très particulières, fêter Noël avec nous, et ne pas nous laisser seuls.

   J’avais entre temps encore passé quelques  examens complémentaires qui devaient déterminer si je n’avais vraiment rien ailleurs. Un scanner pulmonaire, écographies du foie, de la rate, vessie, et reins. On me fit même passer un « Tep Scan », juste avant de commencer mes séances de chimiothérapie. Le point positif de tout ça c’est que je n’avais rien ailleurs (sauf un petit kyste anodin sur un rein, mais rien d’inquiétant).



La « Chimiothérapie » :

 

   Le service d’oncologie de l’HEGP est placé sous la responsabilité d’un Professeur qui dirige également le service de radiothérapie. C’est donc lui qui m’a indiqué comment le traitement allait se passer et quelles seraient les fréquences de ces séances.

 

   J’aurai donc droit à une semaine de chimiothérapie du Lundi au Vendredi, suivie de trois semaines de « repos ».

   Ces séances se feraient en hôpital de jour, c’est à dire que je pourrai rentrer chez moi après chaque séance. Nous ferions d’abord deux séances d’une semaine avant de faire un point intermédiaire et de mesurer l’efficacité du traitement. 

   Il n’était bien entendu pas question de reprendre une quelconque activité professionnelle. Cela faisait maintenant plus de deux mois que j’étais en arrêt maladie. Il me tendit un nouvel arrêt de travail pour deux mois supplémentaires…

 

    Je me suis donc présenté au service d’oncologie un lundi matin. Nous étions seulement à  deux semaines de Noël….

 

   Je pense que nous avons tous besoin de repères temporels pour nous permettre d’avancer dans les moments difficiles, et fixer certaines échéances qui marquent la fin d’évènements difficiles.

   Le parking où je garais ma voiture était situé juste en face de l’Hôpital, et il fallait parcourir environ une cinquantaine de mètres, puis traverser une rue pour arriver dans l’hôpital.

   Le petit chemin qui menait de ce parking à l’entrée de l’établissement était bordé d’une classique haie de troènes. Comme nous étions au mois de décembre, les arbustes avaient bien entendu perdu leurs feuilles et l’on ne voyait que des branches qui paraissaient mortes. Je me souviens m’être fait ce jour là en passant devant  cette réflexion :

Quand les feuilles de cette haie auront repoussé et qu’elle sera à nouveau toute verte, j’aurai terminé mon traitement .

 

… J’allais passer devant cette haie plus de 150 fois….

 

   Pour qui possède un minimum de culture générale, le vocable « Chimiothérapie » est indissociable de celui de « Cancer ». Derrière ces deux mots redoutés  sont réputés se cacher beaucoup de souffrances et de douleurs, ainsi que bon nombre d’effets  secondaires dont le plus connu, et le plus visible, est la perte des cheveux et de tout le système pileux.

 

   Nous avons tous eu dans notre entourage, familial ou professionnel, une personne proche ou non, connue ou moins connue, et dont on disait qu’elle était en « chimio » et que c’était très dur pour elle. Généralement, quand les personnes de cet entourage en parlaient, ces révélations se faisaient à voix basse avec beaucoup de sous-entendus toujours alarmistes, et souvent  faussement condescendants. Et surtout, très souvent dans le milieu professionnel, ceux qui se croyaient bien informés ignoraient totalement  de quoi ils parlaient.

 

   On peut difficilement comprendre l’état d’esprit dans lequel se trouve l’individu quand de « spectateur » il devient, bien malgré lui, « acteur » de sa propre maladie, et se trouve tout à coup obligé de faire face et d’aller au devant de ce qu’il sait être une épreuve redoutable.

   La chimiothérapie est, hélas,  un passage obligé qui permet d’avoir avoir une petite chance de survivre et de s’en sortir.

 

    C’est cette immense différence que j’affrontais à cet instant, car de spectateur je devenais acteur. Ce matin là c’est moi qui allait à « ma » chimio, c’était ma propre vie qu’il fallait que je sauve, et je devais avancer, quoi qu’il m’en coûte, même si j’avais peur. Et j’avais très peur…

 

   Tout en appuyant sur le bouton d’appel de l’ascenseur, je me rassurais comme je pouvais. J’essayais de conserver, vis à vis des gens qui comme moi l’attendaient,  une attitude souriante et détachée, un peu comme si je n’étais qu’un simple visiteur, et pas un patient. Je tentais tant bien que mal à ne penser qu’à des choses positives, en me disant que j’allais enfin vraiment commencer à me soigner et que ce jour était vraiment le début de mon combat contre la maladie.

  C’était à partir de maintenant qu’il allait falloir se battre et essayer de conserver le moral malgré les heures sombres qui s’annonçaient. J’essayais donc, et sans y parvenir tout à fait, d’oublier mes angoisses et de remettre mes états d’âme à plus tard.

   La première chose que je vis juste après le « ding » de l’ascenseur et l’ouverture des portes sur le quatrième étage, fut le panneau blanc sur lequel était indiqué en lettres bleues « Service d’oncologie/ Chimiothérapie », et juste en dessous en plus petit : « adressez-vous à l’accueil pièce 4012 ».

   Les portes de l’ascenseur se refermèrent. Nous étions deux à être sortis de la cabine. L’autre personne, un monsieur d’un certain âge qui semblait connaître les lieux se dirigea vers la droite. Il m’adressa un sourire un peu fatigué comme pour me dire : « Suivez-moi c’est par ici… ». Je lui emboitais le pas, tout à coup un peu moins sûr de moi que quelques minutes auparavant.

 

   Mes proches, et particulièrement mon épouse, avaient tous dépensé beaucoup d’énergie pour me soutenir ces dernières semaines. C’est la raison pour laquelle j’avais souhaité me rendre à cette première séance tout seul, et que j’avais  demandé à ma femme de ne pas m’accompagner. J’avais promis avant de partir que si je ne me sentais pas bien je l’appellerai pour lui demander de me rejoindre.

   Je redoutais en effet ce qu’elle pourrait voir dans ce service, et son imagination faisant le reste, les inévitables projections qu’elle ne manquerait pas de faire sur mon propre cas. Pour ma part, j’avais imaginé des centaines de fois ce jour, et j’étais prêt à l’affronter.

 

   En outre, si j’étais là aujourd’hui, c’était quand même un peu de ma faute, et il me paraissait normal de préserver autant que possible ceux que j’aimais. Il n’est jamais trop tard pour essayer de bien faire.

 

   Le service d’oncologie de l’HEGP fonctionne en hôpital de jour. Les malades arrivent  le matin de bonne heure ou en début d’après midi, et repartent soit vers treize heures ou vers dix sept heures, selon la durée du traitement.

   Outre l’accueil, les bureaux du  chef de service et des médecins oncologues, puis celui des infirmières, ce service dispose d’une dizaine de chambres individuelles, et d’une salle qualifiée de salle de soins « commune » avec quatre grands  « fauteuils », similaires à ceux qui sont utilisés dans les salles pour les dons du sang.

   Tout l’étage est très clair et plutôt accueillant.

 

   Pour ma première visite à l’étage, j’avais droit à un « fauteuil ».

 

   L’infirmière qui m’avait accueilli et installé vint prendre ma tension, mon poids, ma température, et s’assura que je disposais bien de mes dernières analyses de sang. Elle inspecta mon cathéter, et me demanda de patienter quelques minutes. La Chef de service allait me recevoir.

Le Docteur Dutout était une femme plutôt petite, brune et portant de fines lunettes à montures dorées. Toujours souriante, douce, courtoise, il émanait d’elle  une énergie rassurante.

   Elle me fit entrer dans son bureau, ouvrit mon dossier qui était posé, avec d’autres, sur son bureau, et entreprit de le parcourir rapidement en y apportant quelques annotations sur la dernière page (certainement les informations collectées par l’infirmière de tout à l’heure, ainsi que les résultats de ma dernière analyse de sang).

 

Bien….Monsieur Bonnet je vais vous expliquer ce que l’on va vous faire, et comment nous allons vous soigner. Tout d’abord je dois vous dire que vous ne devez pas avoir peur, et oublier tout ce que l’on a pu vous dire jusqu’à aujourd’hui  sur la chimiothérapie. Nous ne sommes pas là pour vous torturer, ni pour vous blâmer de quoi que ce soit, mais pour vous soigner… Et c’est ce que l’on va faire.

 

   Elle me regardait avec un petit sourire doux, imaginant sans peine la tempête qui devait avoir lieu dans ma tête.

-         Vous allez avoir cinq séances consécutives de chimio, c’est à dire du lundi au vendredi chacune d’elle durant environ quatre heures. A l’issue de ces séances vous aurez 3 semaines de repos avant de recommencer. Ce n’est absolument pas douloureux. Les séances se déroulent en trois temps….

 

   Elle continua à m’expliquer ce qui allait se passer en me fixant du regard comme pour essayer de prévenir mes questions, mais aussi je pense pour s’assurer que je comprenais bien ce qu’elle m’expliquait.

   Elle insista longuement sur les effets indésirables du traitement, comme les nausées, la perte de poids ou encore la perte possible de tout ou partie des cheveux.

   Elle rédigea deux ordonnances à mon attention : Une pour les médicaments destinés à me soulager des nausées à venir, et une autre pour effectuer une prise de sang chaque semaine pendant deux mois. Elle me demanda également si j’avais besoin de médicaments pour m’aider à dormir, insistant sur le fait qu’il était particulièrement important que je mange et que je dorme correctement pour supporter au mieux le traitement.

 

   Pendant que je l’écoutais, je ne pouvais m’empêcher de me demander combien de malades étaient passés par ce bureau et n’étaient plus là aujourd’hui…. Et combien s’en étaient sortis ! Devinant très certainement ce à quoi j’étais en train de penser, elle ajouta, toujours très calmement et sur ce ton rassurant qu’ont les gens qui comprennent parfaitement les angoisses et les peurs de leurs interlocuteurs :

 

Vous êtes jeune, Monsieur Bonnet, et si l’on exclu votre tumeur,  vous êtes en bonne santé et de bonne constitution. Elle se replongea quelques secondes dans mon dossier et continua : - Le traitement va bien sur beaucoup vous fatiguer mais nous avons besoin de vous pour vous soigner. C’est pourquoi il faut vous ménager et bien vous reposer entre les séances. Elle insista : - c’est capital !.

 

   Bien sûr que j’avais beaucoup de mal à dormir, bien sûr que tard dans la nuit il m’arrivait de me lever et de rester seul dans le noir à penser et repenser comment et pourquoi j’en étais arrivé là. Bien sûr que j’avais besoin que l’on m’aide.

   Pour le moment je tenais le coup, mais j’étais bien incapable de dire combien de temps cela allait durer…

 

Elle se leva, contourna son bureau et me pria de la suivre tout en continuant à me parler :

 

Si vous avez besoin de quoi que ce soit, ou si il vous vient à l’esprit n’importe quelle question, n’hésitez pas à solliciter les infirmières, ou moi-même. Nous sommes là pour vous aider, et encore une fois, pas pour vous juger ou vous faire quelque reproche que ce soit.

 

   Le Docteur Dutout me raccompagna jusqu’à mon « fauteuil » où m’attendait déjà une infirmière, avec tout le matériel du parfait oncologue sur une petite desserte roulante. Ciseaux, pansements, compresses, masques chirurgicaux, gants, désinfectant, etc.

 

   Il faut bien avouer que les « premières fois » en toutes choses  sont toujours un peu inquiétantes, et plus encore dans un cas comme celui-ci, car on ignore exactement comment les choses se passent. Tout ceci était donc inconnu pour moi, et même si on ne peut appeler cela de la peur, j’étais quand même un peu tendu.

 

S’il vous plaît, relevez votre pull jusqu’au niveau de votre cathéter, et mettez ce masque.

 

   Je m’exécutais et dégageais l’endroit où l’on m’avait implanté mon cathéter.

   L’infirmière avait déjà un masque chirurgical sur le visage et  des gants stériles. Elle avait déplié un paravent pour nous isoler un peu du reste de la pièce. Elle  me désigna d’un signe de tête  un autre masque posée sur la petite table et m’indiqua comment le mettre. Elle désinfecta ensuite longuement la partie où elle allait me piquer, c’est à dire exactement sur ce que j’appelais « ma pièce d’un euro » qui faisait une petite protubérance juste au dessus de mon sein droit.

 

   Bien entendu tout les ustensiles utilisés étaient en milieu stérile. Elle sortit d’un des emballages une aiguille terminée par une sorte de puce, sur laquelle était attaché un fin tube en plastique. Elle me montra le tout et m’expliqua ce qu’elle allait faire. Je l’écoutais attentivement, comme si j’avais été le premier de la classe et elle le professeur.

 

   Elle enfonça, d’un coup sur et sec l’aiguille qui allait diffuser le produit, dans la membrane de mon cathéter. Le geste  avait  été si rapide et précis que je n’avais strictement rien senti.

Elle fit ensuite un pansement très large et hermétique qui me barrait la poitrine. J’allais donc garder cette aiguille et le fin tuyau qui allait avec pendant une semaine. Elle le brancha à deux autres munis d’un dérivateur, suspendit les poches médicamenteuses à la potence voisine, régla le débit, et ajouta en me souriant  :

 

Voilà ! . Un peu de patience, et je reviens dans une heure et demie. N’hésitez pas à appeler si vous avez besoin de quelque chose.

 

   Elle sortit de la pièce en emmenant tout son matériel. Je regardais les premières gouttes tomber une à une pour s’écouler lentement dans mon corps.

   J’avais commencé ma première séance de chimiothérapie….

 

   Dès que j’avais su que j’allais passer plusieurs heures par jour, installé dans un fauteuil, sans rien d’autre à faire que d’attendre, j’avais fait une grosse provision de mots fléchés et de journaux de toutes sortes. J’avais aussi acheté un lecteur portable de DVD et loué quelques vieux films policiers que je n’avais pas vu. D’autres, étaient des grands classiques, comme « la Grande vadrouille » par exemple. J’avais de quoi m’occuper l’esprit.

 

   Il y avait dans la pièce, installés sur les autres fauteuils, trois personnes. Deux hommes d’un certain âge, dont un, assis sur le fauteuil voisin du mien, avait déjà perdu tous ses cheveux…. Il m’adressa un petit sourire, et devinant que c’était ma « première fois », s’employa à me rassurer, en ne tarissant pas d’éloge sur l’efficacité des traitements, et la gentillesse des infirmières et de tout le personnel soignant. Sur un autre fauteuil, un monsieur âgé, accompagné de son épouse probablement, et sur le dernier à côté de la fenêtre une femme d’une quarantaine d’années à l’air terriblement triste et résigné. Elle portait un « casque » spécial, dont j’appris par la suite qu’il était destiné à ralentir la chute des cheveux. Je me suis laissé dire que l’efficacité était toute relative en fonction des individus et du type de chimio pratiquée.

   Ceci dit je peux tout à fait comprendre que le fait de perdre ses cheveux pour une femme soit particulièrement traumatisant.

 

   Une heure passa…. A la vitesse du goutte à goutte du liquide qui passait de la poche en plastique suspendue au dessus de ma tête, dans mon corps.

   L’infirmière qui s’était occupée de moi à mon arrivée entra dans la pièce, porteuse de deux autres poches. Une verte de taille moyenne et une autre translucide mais très petite. Comme les autres personnes présentes avaient des poches de couleur différentes, j’en déduisis qu’elles ne devaient pas souffrir du même type de cancer que moi… 

Alors, Monsieur Bonnet…comment ca va ?

   Je ne trouvais rien d’autre à dire qu’un « bien, merci » un peu timide, en m’efforçant de sourire, mais c’était la vérité. Tout allait bien, je n’éprouvais aucun effet secondaire particulier, et je n’avais mal nulle part.

   La grosse poche était vide. Elle entreprit de la remplacer par la verte et l’autre plus petite. Cette petite manipulation dura deux minutes.

Voilà, encore une grosse heure de patience et on vous libère.

 

   On m’avait autorisé à me lever pour me dégourdir les jambes, tout en me demandant de bien faire attention à ce que les produits restent bien en hauteur, au delà de mes 183 centimètres…. Sinon, le principe des vases communiquant étant ce qu’il est, le produit ne pourrait pas s’écouler normalement, et ce serait le contraire qui se produirait, à savoir que c’était mon sang irait dans les poches… un peu ennuyeux quand même.

   J’entrepris d’aller faire un petit tour au rez-de-chaussée pour prendre un peu l’air.

 

   Tous ceux qui sont déjà venus dans un hôpital ont forcément croisé des malades qui déambulent doucement en trainant doucement leur « potence » d’une main en prenant bien garde de ne pas trop s’en éloigner pour éviter d’arracher les fils passés sous les vêtements.

   J’observais avec une certaine curiosité les regards furtifs des gens que je croisais et qui ne faisaient ni partie du personnel ou des malades. Pas un ne me regardait vraiment, mais certains avaient parfois une expression qui était plus proche de la compassion que du véritable sourire. D’autres semblaient exprimer une certaine gêne. On ose rarement affronter en face ce qui fait peur, et je présume que si j’avais été à leur place j’aurais probablement eu la même attitude…. Pas bien costaud sur mes jambes quand même, je regagnais bien vite le quatrième étage… et mon fauteuil.

   Si ce que m’avais dit l’infirmière tout à l’heure était exact, il me restait une vingtaine de minutes avant de pouvoir rentrer chez moi.

 

   On me proposa un frugal petit déjeuner que j’engloutis de bon appétit. Ma femme m’appela sur mon portable pour savoir si tout se passait bien…. Je la rassurais : tout se passait bien, et j’allais certainement avoir terminé dans quelques minutes. !

   Chacun sait que l’utilisation des téléphones portables est interdite dans les hôpitaux. Ici, on avait le droit de les conserver ouverts à condition de respecter la tranquillité des autres malades. Lorsque j’avais posé la question on m’avait recommandé de le mettre sur vibreur, de ne pas parler fort et si possible de sortir dans le couloir à chaque communication. On m’avait aussi demandé de ne pas en abuser….  Ce petit privilège accordé aux patients, forcément fragiles psychologiquement, n’avait l’air de rien mais il permettait de conserver un lien précieux et rassurant avec ses proches. Dans les circonstances présentes c’était très important.

 

   Ma première séance touchait à sa fin, les deux poches étant maintenant vides. On me m’amena une espèce de « banane » que je devais attacher autour de ma taille. A l’intérieur se trouvait un récipient de forme oblongue, d’où sortait un fil que l’on relia à mon cathéter. Quelques petits bouts de sparadrap pour fixer ce fil sur l’abdomen et le torse, et j’étais paré pour la semaine….. Pas très sexy ni très pratique pour faire des galipettes, mais que je le veuille ou non j’allais devoir supporter ce matériel pendant toute la durée de mes séances de chimiothérapie.

   Voilà, j’en avais terminé pour aujourd’hui. Je pouvais rentrer à la maison.

A demain monsieur Bonnet !

A demain ! 

   Je fis un petit signe de la tête aux autres infirmières qui papotaient dans le couloir avant de m’engouffrer dans l’ascenseur.

 

   Je ne me sentais pas plus mal qu’en arrivant. Juste un peu fatigué, mais aussi rassuré de savoir maintenant comment se déroulait une séance de chimio.

   La semaine s’écoula donc, avec chaque matin un aller retour à l’hôpital, et chaque jour un retour un peu plus pénible que celui de la veille. J’avais commencé un lundi, les premières nausées apparurent le vendredi soir.

   Je crois que lorsque l’on est atteint d’une telle maladie, on est tellement attentif à son corps et à tous les signaux qu’il envoie, que l’on peut presque devancer certaines choses.

   Lorsque j’eus ma première véritable nausée, celle qui vous fait courir vers les toilettes, je l’attendais depuis cinq minutes. Je savais maintenant à peu près ce que pouvais éprouver une femme enceinte au début de sa grossesse….. Mais bien entendu la cause n’était pas tout à fait la même….. Je savais aussi que c’était le commencement de quelque chose de pas drôle, il fallait faire avec, mais j’étais prêt à l’assumer.

   Cette fois là, je n’ai pas vomi, mais je savais bien que je n’aurais pas à attendre très longtemps avant que cela arrive…..Cela se produisit bien entendu en pleine nuit de samedi à dimanche vers 3h00 du matin.

 

   Imaginez vous en train de dormir paisiblement (je prenais des calmants pour pouvoir trouver le sommeil). Tout à coup vous vous réveillez en sachant immédiatement, avant même de poser le pied par terre, que vous n’aurez pas le temps, ni d’allumer la lumière…. ni d’arriver jusqu’à la salle de bain avant le premier spasme.

Comme je l’ai déjà dit, je suis quelqu’un qui rend assez facilement, et ceci depuis mon plus jeune âge, mais là……

 

   Même pas le temps de répondre à ma femme, réveillée bien sûr aussi en sursaut, et qui se demande ce qui se passe, pas le temps de penser, juste arriver à temps au dessus de n’importe quel récipient pour ne pas arroser la moquette et le reste. Ce que je restituais était un liquide transparent, limpide…presque de l’eau avec cette différence que cette eau là avait le gout de l’acide. C’était épouvantable, je n’avais pas le temps de reprendre mon souffle entre deux spasmes, j’étouffais littéralement, à m’en trouver mal. La crise passa au bout de cinq minutes, qui me parurent durer des heures.

   Ma femme qui s’était bien sur levée était livide devant moi les yeux pleins de larmes, moi j’étais assis par terre, le dos appuyé à la baignoire de la salle de bains, hagard et sans forces, la tête levée les yeux fixés au plafond. J’avais beaucoup de mal a retrouver mon souffle et mon calme.

   D’un seul coup je me suis mis à grelotter sans raison apparente. Il était 3h20 du matin. Je me suis pris la tête entre les mains et je me suis effondré en larmes sans pouvoir dire quoi que ce soit. Encore une fois ma femme, malgré la panique qu’elle éprouvait sans la montrer, sut trouver les mots pour me réconforter et me calmer. Nous sommes retournés nous coucher presque une heure après, le temps de retrouver un semblant de sérénité et un comportement normal.

 

   Putain de clope ! si seulement j’avais écouté les conseils des gens qui m’aiment  au lieu de n’en faire qu’à ma tête! En ce moment je dormirais tranquillement en rêvant sans doute aux fêtes de Noël toutes proches.

 

 

   Les hasards du calendrier et de la programmation de mes séances de chimiothérapie, m’avaient permis une « trêve » pour la période de Noël et de nouvel an, ma seconde cure ne devant commencer que la deuxième semaine de janvier.

   Nous avons passé les fêtes en famille, un peu moins joyeusement que les autres années bien sûr, mais n’avons pas dérogé à la règle des cadeaux et du réveillon. Nous devions nous efforcer de continuer à vivre aussi normalement que possible.

 

    Notre fils et sa compagne avaient projeté de partir passer deux semaines à la Martinique pour se ressourcer un peu. Ils avaient été avec nous pour Noël, mais c’était la première fois que nous n’avions pas notre progéniture avec nous pour un premier de l’an…. Triste réveillon pour passer de 2005 à 2006, Et comment, dans pareil cas, se souhaiter une « bonne année » ?. Nous avons quand même attendu que les douze coups de minuit retentissent, en regardant la télévision serré l’un contre l’autre, puis nous sommes allés nous coucher bien sagement.

 

   Où étaient ils nos réveillons passés, où nous dansions toute la nuit, avant de déguster une bonne soupe à l’oignon vers six heures du matin ?… Dans une autre vie certainement.

 

   Au fur et à mesure que les jours de ma période de « repos » passaient, mes nausées diminuaient, et je pouvais à nouveau m’alimenter à peu près normalement sans avoir à me précipiter aux toilettes dix fois par jour. Chaque matin je regardais attentivement le peigne avec lequel je me coiffais, redoutant à chaque fois de voir quelques cheveux tomber ou rester accrochés aux dents…… Le miroir me renvoyait de moi l’image d’un visage qui se creusait chaque jour un peu plus. Mes bonnes joues avaient fondu en quelques semaines et j’avais commencé à maigrir, bien triste début d’année 2006.

 

   Les enfants rentrèrent de Martinique deux semaines plus tard, tout bronzés et avec une mine radieuse. Ils nous avaient montré des dizaines de photos de plages idylliques et d’océan à l’eau transparente. Leur bonheur faisait plaisir à voir.

   Xavier avait attendu la fin du récit de leur voyage, pour glisser entre deux photos de Plages de sable et de palmiers, un cliché un peu différent et en noir blanc qui avait été pris juste avant leur départ.  Ils avaient préféré attendre un peu avant de nous l’annoncer : cette photo était celle de la première échographie du bébé que portait Cécile…

 J’allais donc être grand père !

 

   Cette nouvelle fabuleuse, fut accueillie avec des larmes de joie, effaça tous les problèmes et toutes les souffrances des derniers mois, et surtout elle me donnait une raison supplémentaire de me battre contre la maladie. Ce soir là nous avons tous oublié pour un temps la maladie, l’Hôpital, et la prochaine séance de Chimio qui devait bientôt commencer. Ultime séance avant le premier scanner de contrôle dont le résultat (très redouté….) allait conditionner les prochaines années de mon existence ainsi que  celles de mes proches.

   Les deux premiers jours de traitement se passèrent à peu près bien. Comme j’en étais à ma deuxième semaine et que je commençais à être un peu fatigué, j’avais eu droit à une chambre individuelle au lieu du fauteuil dans la salle commune. Cela faisait maintenant plusieurs fois que je m’endormais pendant les séances, et je n’amenais même plus de DVD à regarder pour passer le temps. Juste quelques mots fléchés au cas où….

    J’avais des nausées nocturnes toutes les nuits, et je dormais donc très mal. Depuis quelques jours je ressentais d’incessantes et très désagréables crises de fourmillement dans les pieds et au bout des doigts des mains, un autre effet secondaire liée à la chimio. Certains produits détruisent les terminaisons nerveuses des extrémités des pieds et des doigts, et provoquent ainsi ces sensations très désagréables et même douloureux par moments.

   Pour couronner le tout, ce mercredi là, une belle poignée de cheveux était restée accrochée aux dents du peigne. Même si je m’y attendais depuis longtemps, cet événement m’apparut comme une épreuve supplémentaire.

   J’ai fermé la porte de la salle de bains, je me assis sur le bord de la baignoire et j’ai pleuré silencieusement et à chaudes larmes pendant un bon quart d’heure. Tout me paraissait tout à coup inutile et futile. Pourquoi continuer ? Pourquoi endurer toutes ces épreuves ?

   C’est la seule fois où je suis arrivé en retard à l’Hôpital.

 

   Comme je n’étais pas bien du tout je me rendais désormais à l’hôpital en Taxi. Il était inutile de prendre des risques inconsidérés et de provoquer un accident de la circulation. J’avais déjà assez de problèmes comme cela !.

   Cette semaine de chimio fut très pénible, et je sais désormais ce que signifie être « au fond du trou ». Je ne dormais plus du tout, je passais le plus clair de mon temps accroupi devant les toilettes à rendre ce que j’avais péniblement avalé quelques heures avant. Je regagnais ensuite mon lit d’où je ne sortais presque plus, sinon pour aller à l’hôpital.

   Je maigrissais à vue d’œil, et pour ne rien arranger je perdais  de plus en plus mes cheveux, à tel point que je n’osais même plus me coiffer!. Le peigne, cet instrument, on ne peut plus banal, et dont l’usage ordinaire est d’aider à se rendre plus présentable, cet objet était devenu pour moi un véritable instrument de torture.

 

   La semaine s’écoula donc, chaque jour qui passait devenait un jour supplémentaire de calvaire.

 

   Quand le vendredi arriva j’étais à deux doigts de tout laisser tomber tellement je me sentais mal en point. Je n’avais plus aucune volonté, et le seul fait de me lever de mon lit devenait une épreuve redoutable et redoutée.

   J’ai vraiment pensé à ce moment là, à une solution radicale pour ne plus souffrir, ne plus être mal et trouver enfin la paix et le repos.

 

« Le traitement que l’on va vous faire suivre va vous rendre malade, très malade… Mais ayez toujours présent à l’esprit que c’est ce traitement et rien d’autre qui fera que vous vous affaiblirez. Lorsque vous aurez terminé, vous reprendrez le dessus et si tout va bien votre tumeur ne sera plus qu’un lointain souvenir…. »

   Je tentais tant bien que mal, de m’accrocher à cet avertissement donné par mon oncologue au début de mon traitement, mais je sentais le découragement me gagner, la peur et l’appréhension venait s’ajouter à l’angoisse du résultat, lorsque je pensais au scanner que je devais passer dans les prochaines semaines et qui allait probablement conditionner la suite de mes tourments….

 

Et si tout ceci n’avait servi à rien ?

 

   Chaque soir était un enfer, et je retardais autant que possible le moment de me mettre au lit pour dormir, car je savais que j’allais encore rester des heures dans le noir à chercher un sommeil qui ne voulait pas venir, entre deux trajets aller-retour de mon lit  aux toilettes.

  C’est bien souvent au petit matin que je m’endormais, épuisé par une nuit sans sommeil à remuer des pensées toutes plus morbides les unes que les autres. Il me semblait que seule la mort pouvait être pire, et encore je n’en étais pas certain.

   De toute mon existence je n’avais jamais imaginé que l’on puisse vivre de pareils moments.



Les Scanners de contrôle :

 

   Chaque personne souffrant d’un Cancer, passe par des périodes d’euphorie, d’espoir, mais aussi de stress et de désespoir intense. Le passage d’un scanner de contrôle fait partie de ces moments où le malade sait que tout peut basculer une nouvelle fois….. dans le bon ou le mauvais sens.

   C’est donc avec le ventre vide, et une belle et bonne boule à l’estomac que je me rendais ce jour là à la clinique de la croix rouge dans le 14ème arrondissement pour y passer mon premier scanner depuis que j’avais commencé mon traitement de chimio.

 

   Comme dans la plupart des centres d’imagerie médicale, il y avait foule, et je savais que l’attente allait être longue et pénible.

   J’avais le teint blafard, les cheveux (en tout cas ce qu’il en restait) ternes de ceux qui suivent une  chimio. Je devinais aux regards furtifs et gênés des quelques personnes présentes dans la salle d’attente, qu’il était bien écrit sur mon front : « J’ai un cancer ». De toutes les façons, avec mon teint cireux, mes traits tirés, mes yeux fatigués et mes cheveux clairsemés…. Il ne fallait pas beaucoup réfléchir pour deviner ce que j’avais…

   Comme à mon habitude j’avais amené quelques grilles de mots fléchés à remplir, mais le cœur n’y était pas…. Je ne trouvais aucun des mots correspondants aux définitions proposées.

 

Monsieur Bonnet s’il vous plaît ?…. 

   J’avais presque sursauté à l’appel de mon nom, et c’est comme si on me menait à l’abattoir que j’emboitais le pas à l’infirmier qui était venu me chercher.

 

   Les scanners se ressemblent tous et comme c’était le troisième ou quatrième que je passais depuis quelques mois, je commençais à avoir une certaine habitude du déroulement des opérations :

 

Torse nu sans chaine ni gourmette

S’allonger et bien caler la tête les jambes étendues

Tendre le bras gauche pour permettre le positionnement de l’aiguille destinée à recevoir le produit opacifiant

Ne plus bouger. Respirer et cesser de respirer pendant l’examen quand on vous le dit

Rester allongé quelques minutes pendant que les opérateurs vérifient si les clichés sont bons.

Retour de l’infirmier qui enlève la perfusion de produit opacifiant

Nouveau passage dans la cabine pour se rhabiller

Retour dans la salle d’attente….. pendant que le médecin analyse les clichés et dicte son compte rendu

 

   La dernière étape est de loin la plus oppressante, car une fois les clichés interprétés et le compte rendu dicté, le radiologue vous rappelle pour vous donner en « live », et sous une forme simplifiée, les résultats de l’examen.

   Quelques minutes d’extrême tension où vous vous trouvez en sursis pendus aux lèvres du médecin, et à ce qu’il va vous annoncer.

   Je ne sais si cela vient de moi et de la façon que j’ai d’appréhender les évènements, ou si tout un chacun réagit ainsi, mais bizarrement je n’avais plus aucune peur à cet instant précis. J’étais redevenu presque serein, attendant le résultat de l’examen avec fatalité. Il n’en était pas de même, loin s’en faut, pour mon épouse, obligée de s’asseoir et presque aussi livide que moi, mais pas pour les mêmes raisons.

   Le radiologue vint nous chercher et nous fit entrer dans son bureau.

 

   Il s’agissait d’une toute petite pièce dont la plus grande partie du mur qui nous faisait face était recouvert de clichés radiologiques sur une vitre dépolie rétro éclairée comme celles que l’on voit d’ordinaire dans un tel endroit. Il y avait à droite les clichés de mon premier scanner et à gauche ceux d’aujourd’hui.

   Le radiologue était un homme assez corpulent, d’une cinquantaine d’années, un peu bourru mais malgré tout assez sympathique.

Il nous fit asseoir et désigna un des clichés pris aujourd’hui :

 

Mr Bonnet… Il marqua un léger temps d’arrêt et continua tout en observant tour à tour les clichés de gauche et de droite. On ne voit pratiquement plus rien de votre tumeur. Il nous désigna un point sur un des clichés, qui moi me paraissait en tous points semblable à l’autre… Le traitement chimiothérapique parait donc avoir bien fonctionné.

 

   J’avoue ne pas avoir réagi immédiatement tellement j’étais abasourdi par ce que je venais d’entendre. Ma femme elle, était en larmes, se libérant soudain de toute la tension accumulée depuis des semaines.

 

   Le radiologue continua :

La comparaison avec le scanner que vous avez passé juste avant votre biopsie ne laisse aucun doute : Votre tumeur a bien régressée.

 

   Le médecin tenait entre ses mains un des nombreux clichés pris quelques minutes auparavant. Il l’observa quelques secondes avant de poursuivre :

 

Vous avez par contre un ganglion enflammé qu’il faudra surveiller de très près .

 

   J’avais à peine pris garde à sa remarque, encore sous le coup de l’annonce qu’il venait juste de me faire. Pour moi l’essentiel était la régression significative de ma tumeur et donc la réussite du traitement de chimiothérapie. Ce n’était certainement pas un petit ganglion, même enflammé qui allait me gâcher la journée et surtout pas la joie de profiter de cette bonne nouvelle.

 

   Quelques minutes plus tard, et chacun notre portable collé à l’oreille pour prévenir nos proches, nous regagnions notre voiture garée un peu plus loin, pour rentrer chez nous.

 

   Les jours qui suivirent furent les plus joyeux depuis bien longtemps. Je retrouvais le plaisir de manger, et même de sortir un peu malgré les températures toujours négatives relevées à Paris à ce moment là.

 

   J’avais deux semaines devant moi pour me reposer et reprendre un peu du poil de la bête, avant de me rendre à la consultation du Professeur Delcaurre pour une énième endoscopie qui devrait confirmer les résultats déjà observés au scanner.

   Dans mon esprit à ce moment là, loin pourtant de me considérer comme guéri, j’étais presque certain d’échapper à l’opération tant redoutée ou encore à une longue série de séances de radiothérapie que l’on m’avait décrites comme particulièrement désagréables et très éprouvantes.

 

   Je savais aussi que je n’étais pas au bout du traitement, mais compte tenu du résultat obtenu en chimio, je commençais déjà à imaginer que j’allais bientôt pouvoir reprendre le travail, ce à quoi je n’avais absolument pas songé depuis ce qui me semblait être une éternité.

   Cela faisait déjà quatre mois que j’avais cessé toute activité professionnelle, et j’avais hâte de retrouver cette ambiance de bureau, et retourner dans le monde des actifs. Il me tardait en effet d’oublier l’hôpital, les cabinets de radiologie, le stress des examens, etc.

 

   Un peu revigorés par la bonne nouvelle, nous sommes allées ce soir là diner dans le petit restaurant proche de chez nous et où nous allions très souvent... auparavant.

La soirée  avait été détendue et j’avais diné de bon appétit. Couché de bonne heure j’avais dormi, sans l’aide des somnifères, d’un sommeil sans rêve et sans cauchemar de  22h00 à 09h00 du matin.

   Cela faisait plusieurs

mois que j’avais oublié ce qu’était une vraie nuit de sommeil.

 

   Malgré l’Hiver, les jours de pluie et le vent glacial, nous nous efforcions ma femme et moi de sortir un peu de temps en temps pour nous aérer.

 

    J’avais encore une grosse semaine de repos avant de me rendre à la consultation ORL pour faire le point avec le professeur Delcaurre et décider avec lui de la suite du traitement.

 

   Nous voyions beaucoup les enfants qui étaient adorables avec nous et surtout très présents ; ne sachant quoi faire pour nous faire plaisir et participer avec nous à cette « trêve de l’hôpital ».

   La seule chose qui nous importait était que Cécile et son futur bébé aillent bien, ce qui était le cas.

 

   Cinéma, restaurants, nous nous sommes mis durant cette période un peu plus calme à sortir à nouveau et à profiter un peu de la vie parisienne. Cela me faisait un bien immense et je m’appliquais à bien manger car j’avais quand même perdu presque 10 kilos depuis 4 mois. J’avais acheté un beau chapeau gris  qui me permettait de cacher un peu mon crane dégarni à cause de la chimio, et comme nous étions en hiver, on y voyait que du feu…. C’était parfait !



Le Ganglion qui fâche… 

 

   Ma dernière séance de chimio était maintenant terminée depuis presque trois semaines, et les nausées avaient disparues. Je continuais quand même à perdre mes cheveux et à avoir de très désagréables fourmillements dans les extrémités des pieds et des mains.

   Nous étions Jeudi et je devais me rendre à l’Hôpital pour une consultation ORL avec le professeur Delcaurre le lendemain.

 

   Il faisait un froid mordant, et il recommençait à neiger.

 

   Le téléphone sonna, juste au moment où nous allions passer à table.

 

Allo, Mr Bonnet ?…. Bonjour ! Pr Delcaurre à l’appareil. J’ai reçu le compte rendu de votre dernier scanner. C’est très encourageant. Il marqua un léger temps d’arrêt avant de poursuivre : - J’ai également étudié avec attention les clichés que vous avez laissé à ma secrétaire. (j’avais en effet déposé moi même les images du scanner à l’hôpital, sur demande de l’équipe médicale qui me suivait)

 

   Je savais que chaque jeudi les équipes médicales oncologues / Orl se réunissaient pour faire le point sur les dossiers des patients qu’ils avaient en charge.

   A cet instant me revint en mémoire la remarque du radiologue qui avait fait état de ce ganglion malade qu’il faudrait surveiller.

   J’avais vu juste car il enchaîna :

 

Les clichés que nous avons examiné ce matin laissent apparaître un ganglion malade du même côté que celui de votre tumeur… Je vous propose donc de vous l’enlever avant que vous ne continuiez votre traitement.

 

   J’avais bien sur éprouvé instantanément le besoin de m’asseoir, et ma femme s’aperçut bien que quelque chose n’allait pas.

   J’essayais de réfléchir aussi vite que possible, mais il y avait une chose que je ne comprenais pas du tout : je devais voir le Professeur Delcaurre le lendemain, et je ne voyais pas quelle urgence il y avait à me téléphoner chez moi aujourd’hui pour me poser cette question.

   En effet, il était probable que je ferai encore un peu de chimio et probablement un peu de radiothérapie. Du moins je m’étais préparé à cette éventualité. Je posais alors à mon interlocuteur les questions qui me parurent, en l’occurrence, les plus logiques :

1 – Est ce que c’était si urgent que cela ?

2 – Quelle était la durée de l’hospitalisation ?

3 – Est ce que si je suivais des séances de radiothérapie, celles-ci n’allaient  pas bruler ce fameux ganglion, et de ce fait annuler sa probable, mais non certaine malignité ?

 

   Mon ORL savait parfaitement que je répugnais à me faire opérer. Je pense même qu’il connaissait ma réponse avant de me téléphoner.

   Il m’informa que l’intervention, n’était effectivement pas urgente, qu’elle durait entre une et deux heures, qu’il y avait ensuite une semaine à dix jours d’hospitalisation, et qu’en aucun cas on ne toucherait à mon Larynx.

   J’étais un peu rassuré par ses propos, mais je n’avais aucune envie de me faire opérer maintenant, surtout en raison de l’état de faiblesse dans lequel je me trouvais en ce moment.

    Il m’expliqua ensuite qu’il y avait effectivement une possibilité que la radiothérapie fasse disparaître ce ganglion.

 

   Ma décision était prise : je ne me ferai pas opérer !. Si cela restait nécessaire, nous verrions cela après la fin de mon traitement et les résultats des examens qui seraient faits à ce moment là.

 

Il en prit bonne note et me quitta sur un laconique  :

 

Au revoir Monsieur Bonnet, à demain.

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